L’exemple de l’historien François Dalencourt demeure pour moi, l’un des plus éloquents. Dans l’affaire Coicou, on se souvient, la version de l’ordre du jour publié, le jour même, dans les rues de la capitale (version des faits reprise et amplifiée par Le Matin) jetait une infamie irréparable sur le poète Massillon Coicou, laissant accroire que les dénonciations dont avaient été victimes ses co-fusillés, (ainsi que d’autres gens arrêtées, des officiers) venaient directement et, notez bien, spontanément de lui. Cette vision, on en frissonne, serait restée la vision des faits, la narration vraie et irréfutable de l’affaire Coicou si, au lendemain de la chute de Nord Alexis, un an plus tard, et grâce à un périodique résolu, L’Impartial, une enquête heureusement ne s’était ouverte hardiment sur ces évènements. Enquête qui révélait de façon incontestable que Massillon Coicou n’avait dénoncé personne. Pourtant, malgré cette fabuleuse enquête, on n’est pas peu surpris de voir, en 1935, soit près d’une trentaine d’années plus tard, cet historien de renom chez nous, reprendre texto, dans un manuel d’Histoire destiné au grand public, les affirmations infamantes de l’ordre du jour présidentiel, affermies, je l’ai dit, du quotidien le Matin. Hé oui ! Sous l’emprise d’un discours officiel, il s’arrogeait d’effaçer quatre mois de labeur intense! Oui, quatre mois extraordinaires, quatre mois irremplaçables et assidus d’enquête ! Le mensonge et la bêtise ont certes la vie dure, mais notre iconolâtrie profonde, notre absence proverbiale de réflexe et de sens critiques la rendent chez nous, admettez-le, plus dure encore que de raison!
Autre exemple du même ordre ?
En dépit des thèses éloquentes de Sarner et de Diederich, regardez sur internet et ailleurs ce qui a vu récemment le jour sur Jacques Stephen Alexis et, subséquemment, sur son retour tragique de Cuba. Son nécessaire débarquement. C’est confondant, non ! C’est toujours et rien d’autre qu’une aventure téméraire et confuse de guérilla et, partant, vouée au plus lamentable échec. On n’écoute plus. La peine d’une mise à jour de rigueur sur la question, on n’entend point se l’imposer. La cause, tranchée, est entendue. On s’arroge toute licence, tout permis de perpétuer la fable. Et pourquoi non, je vous prie, madame? Affermie par tant de ressassements, sa longévité notable, oui, manifeste que saurait-elle, dites-moi, représenter sinon la preuve évidente, la marque évidente d’une indiscutable véracité!
Une absence de souci profond vis-à-vis des morts (Comme en témoigne le fait que nous nous révélons toujours aptes, quant à leur compte exact, à nous contenter d’un à-peu-près exemplaire ! C’est historiquement vérifié.) et, subséquemment, de la mémoire? joint à son immédiat corollaire, un refus catégorique de demander des comptes, donc, a fortiori, d’investiguer?
Dois-je encore prendre exemple de l’Espagne ? Au lendemain de la mort acclamée de Franco, ne manque point de voir résolument le jour, une association de familles de victimes du franquisme (ARMH). Se constituent également des associations destinées à la récupération de cette mémoire historique muselée outrageusement par plusieurs décades tyranniques du franquisme. Exception faite d’initiatives isolées et remarquables (le site fordi9, et bien d’autres, par exemple, Haiti: Jamais, jamais plus! du CRESFED…) et nous, avec nos milliers de morts et de torturés, de victimes de déprédations éhontées et de toutes espèces, à quoi, dites-moi, de formel, d’organique, si j’ose dire, nous avez-vous seulement vu donner naissance ? (précarité dit-on souvent, urgences par trop multiples et accapareuses, est-ce vrai? le croyez-vous vraiment?)
Pour que l’Histoire se renouvèle davantage sous nos cieux ? Par ignorance stupide et crasse ? Fort-Dimanche (lieu unique de toute la Caraïbe, sinon de toutes les Amériques, et destiné de toute évidence à la mémoire) oui, Fort-Dimanche en tous cas, livré impudemment à tous les sacs du monde, se démolit patiemment et tranquillement sous nos yeux sans rencontrer, de notre part, de résistance réelle. Profonde. (Précarité aussi?)
Le cas Gasner Raymond
Le cas Richard Brisson
Le cas Jean Dominique ? Sans oublier, bien sûr, nombre d’autres.Parlez-m’en donc, je vous prie!
Quand elles consentent difficilement, quand elles consentent tant bien que mal à s’ouvrir sous nos cieux, les enquêtes, admettez-le, semblent de durée profonde, non ? Faramineuse. Éternelle. Et nous, dans l’oubli d’actes porteurs, d’actes essentiels, que nous voyez-vous faire, je vous prie? À quoi nous voyez-vous gentiment nous atteler? Nos yeux rivés exclusivement sur la-politique, à fouler, résolus et sereinement nos sentiers battus (Précarité toujours et absolue?).