Autour de la disparition de Jacques Stephen Alexis

Jacques Stephen Alexis

Jacques Stephen Alexis

-I-

Les mythes  qui, depuis plus d’un demi-siècle déjà, ne laissent d’entourer, et de façon persistante, la disparition de Jacques Stephen Alexis, Georges, semblent, c’est évident, avoir pris de sérieux coups ces temps derniers.

Depuis  la parution, en tout cas, de ces deux livres admirables et appelés incontestablement à faire date que sont La passe du vent d’Eric Sarner (1994) et  Le prix du sang de Bernard Diederich (2005)

Ces mythes sont essentiellement au nombre de deux (J’entends les plus immobilisants, quoi! Ceux qui ont la vertu de nous retenir au seuil de cette histoire, de nous en soustraire, par conséquent, de toute vue réelle, de toute curiosité plus avant des tenants comme des aboutissants) :

D’abord, que son retour tragique de Cuba, au mois d’avril 1961, cause incontestable de sa mort, n’était rien d’autre qu’une aventure armée.

Ensuite, qu’il a trouvé la mort dans le Nord-Ouest, si ce n’est précisément au Môle Saint-Nicolas, localité dans laquelle ou à proximité de laquelle  ses quatre compagnons et lui avaient témérairement débarqué.

Partagés par un grand nombre, sinon par tous, ces mythes se retrouvent fixés dans ces récits suivants glanés par moi, au hasard:

“Il se hasarda à débarquer dans  le Nord-Ouest sous le gouvernement de Duvalier. Il y trouva la mort.” (Pradel Pompilus et F. Raphael Berrou, Histoire de la littérature, t.3. p590)

“(…) En avril 1961, Jacques-Stephen Alexis débarqua dans le Nord-Ouest avec quelques compagnons d’un vieux rafiot qui arrivait de Cuba. Il avait choisi l’aventure des armes pour renverser la dictature. (…) on ne mit pas le temps pour arrêter Jacques-Stéphen Alexis sur lequel on trouva une somme d’environ quinze mille dollars. C’était la maigre fortune avec laquelle il comptait financer sa révolution, il s’agissait de toutes ses économies, du montant des avances qu’il avait encaissées sur ses droits d’auteur.

Jacques Stephen Alexis fut capturé au lieu-dit Chansolme, le 22 avril 1961, le jour même de ses 39 ans. Duvalier ordonna alors aux officiers Jean Beauboeuf et Sony Borges ainsi qu’à un dénommé Clairsaint, détective des recherches criminelles de Port-au-Prince de le lui ramener au Palais. Ces derniers revinrent bredouilles en prétendant qu’ils étaient arrivés trop tard pour sauver la vie du prisonnier que les miliciens avaient déjà torturé à mort et enterré.” (Charles Dupuy, Le coin de l’Histoire,  t.1, p.39)

Ou encore, dans cet article du site Fordi9 de Patrick Lemoine, site consacré, on le sait, aux victimes des vingt neuf ans de règne infécond et sanglant des Duvalier :

“Alexis, Jacques Stephen: Doctor, poet, writer, activist, spent time in jail, expelled out of Haiti, came back clandestinely and tried to infiltrate the masses, but got killed in the Nord-West. Great- grandson of J.J. Dessalines, one of the founders of the nation. Compère Général Soleil.”

Ces mythes, d’où proviennent-ils ? Ainsi que l’affirme hautement Urchain (Rassoul Labuchin ?),  l’un des informateurs-clé de Sarner, ne s’agit-il, en fait, que de mensonges du régime entretenus depuis ?

En ce qui a trait au motif du débarquement, on ne saurait le nier. Mensonge bien utile, dans un contexte dominé par la guerre froide, à une stratégie d’obtention d’aide de la part d’un gouvernement américain obsédé par le communisme, [1] et qu’à défaut d’informations concrètes, semblent accréditer toutes les apparences : Ils viennent de Cuba socialiste, Alexis est chef d’un parti d’obédience marxiste (le PEP, Parti d’Entente Populaire), la guérilla est à l’ordre du jour.

Mais en ce qui a trait à la mort survenue sur les lieux mêmes, on demeure plutôt perplexe. Car du côté du pouvoir, un voile résistant de silence a toujours entouré de façon opiniâtre le sort brutal des prisonniers. Ce qui n’est pas sans expliquer, d’ailleurs, l’extrême longévité d’une campagne internationale assidue en vue de l’élargissement de Jacques Stephen Alexis, gloire littéraire montante et acclamée de partout (durant toute l’année 1961 et une partie de 1962, nous affirme Diederich). Rumeur donc? Rumeur suggérée ou non démentie car s’avérant plus qu’utile ?

La vérité selon Sarner et Diederich, quelle est-elle ?

Que leur arrivée dans le voisinage du Môle ne procède en fait  que d’un pur et déplorable accident [2]. Qu’en réalité, ils voulaient accoster aux environs de la ville des Gonaïves, terrain plus familier à  Jaques S. Alexis, car son berceau natal

Le but? Il pensait pouvoir se glisser clandestinement dans le pays et réorganiser son parti qui avait subi les coups de la répression au cours de la grève des étudiants,[3] nous dit Diederich. C’est le même motif  que nous propose l’un des informateurs de Sarner, déjà cité, Urchain (Rassoul Labuchin) ancien compagnon et membre du parti fondé par Jacques Stephen Alexis (le PEP) : “(…) Jacques rentrait au pays pour mieux structurer le Parti. Pour continuer à combattre aux côtés des siens, pour rejoindre Andrée (Andrée Roumer, sa seconde femme). Pour nier l’exil. “

Pour mieux structurer le Parti, donc, avez-vous lu, et non pour se livrer à une quelconque lutte armée, une quelconque guérilla au sein de la paysannerie!

  1. [1] Que professera ouvertement Joseph Baguidy, ministre, à l’époque, des Affaires étrangères de Duvalier, à l’adresse de l’ambassade américaine d’Haiti.
  2. [2] Selon ce que déclare à titre hypothétique l’informateur de Sarner, elle proviendrait d’une erreur due à la forte ressemblance entre La Plateforme, lieu où il situe ce fameux débarquement, et le môle Napierre(baie de Grand Pierre?) à proximité des Gonaives. Selon Diederich, lui-même, d’un empressement de l’équipage de la vedette cubaine à regagner Cuba où se déroulent  à ce moment les épisodes de l’invasion de la Baie des Cochons.
  3. [3] La grève des étudiants : en septembre 1960 vingt étudiants sont arrêtés sous prétexte d’activités communistes dont le trésorier de l’U.N.E.H (union nationale des étudiants haïtiens), Joseph Roney. Le lundi 21 novembre 1960, en vue d’obtenir la libération des étudiants emprisonnés, l’U.N.E.H déclare la grève générale.  Qui ne va pas tarder, en fait, à voir toutes les organisations étudiantes, de toutes tendances, de tout niveau, secondaire et universitaire, privée ou publique s’associer à ce mouvement et réclamer ouvertement le départ de Duvalier. Cette Grève qui  Officiellement va durer jusqu’au 16 mars et  se déroulera  sur fond de loi martiale et le couvre-feu décrétés par le gouvernement, finira par la mise en coupe réglée des associations de jeunesse et de l’église dont beaucoup de prêtres accusés d’encourager la grève des étudiants, seront expulsés du pays.
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