Autour, une fois de plus, des circonstances de la disparition de Jacques Stephen Alexis.

Lettre ouverte à une lectrice

mon chapeauVous avez lu avec plaisir, me dites-vous, mon texte, Autour de la disparition de Jacques Stephen Alexis, et vous avez tenu à constater non sans amertume que sur les circonstances entourant sa mort, sur son soi-disant débarquement armé, des étrangers seuls, au nombre précis de deux, semblent avoir eu à cœur de jeter une lumière nécessaire et décisive de compréhension.

Hé oui ! Le fait est là, madame, et d’une éloquence rare, qui songerait seulement à vous contredire. Un homme de la trempe, un homme de la stature de Jacques Stephen Alexis meurt dans des conditions obscures et ce sont, comme vous l’indiquez crument, “des étrangers uniquement qui tentent d’éclaircir les faits”. Qu’hommage, donc, leur soit rendu !

Mais vous seriez davantage confuse, vous rougiriez, comme moi, davantage de honte si vous étiez au fait du cas admirable de Sarner. Enchanté par la lecture des livres d’Alexis et ayant appris par la courte biographie consacrée par Gallimard à leur auteur, l’histoire tragique de celui-ci, ne voilà-t-il pas que, mettant fin à des tergiversations bien compréhensibles et sans nombre, ce franco-algérien, un beau jour, dans les nineties, se décide enfin à mettre le pied chez nous, à rentrer dans un pays totalement inconnu de sa personne sinon que par de vagues lectures, afin de procéder à cette instructive enquête.

Le cas Bernard Diederich, lui, c’est une vieille histoire. Rentré en Haïti dans la vingtaine et en 1949, donc, sous Dumarsais Estimé, ce néo-zélandais se décide, et sur un coup de foudre, à faire d’Haïti sa seconde patrie. Il se marie à une haïtienne. Il fonde Haïti Sun, un hebdomadaire de langue anglaise consacré à Haïti mais, comme de juste, ne tarde pas sous Papa Doc à faire figure de trouble-fête. Arrêté le 27 avril 1963 par les sbires de celui-ci, il est expulsé du pays deux jours plus tard et va écouler sa vie un certain temps en République Dominicaine.

Le 18 aout 1936 voit, à Grenade, la fusillade notoire de Garcia Lorca par les forces antirépublicaines, et les circonstances de sa mort, comme vous le savez, n’ont point manqué de donner lieu à des tentatives innombrables et passionnées d’éclaircissement (tenez, la dernière en date : 2011. Celle de L’historien Miguel Caballero Pérez. Trois années d’investigation. Trois années de dur labeur !) En vue d’une exhumation souhaitée de ses restes aussi bien que de ceux inoubliés, et au nombre de trois, de ses compagnons également tombés, cette nuit-là d’infortune, des recherches n’ont point manqué non plus, dans la foulée, de voir un jour fébrile. Oui, un jour acharné. Et cette exhumation exigée et entreprise il y a cinq ans de cela. Tandis que nous, Bon Dieu ! vis-à-vis des nôtres, des tenants et aboutissants de leur mort, de leur tragédie, quelle apathie profonde, déplorez-vous clairement et non sans pertinence. Oui, quelle indifférence !

Concernant notre romancier, que peut bien être la cause d’un tel fait, vous demandez-vous aussi, et anxieusement, non?

Oui, quelle est-elle vraiment? Non point uniquement, je pense, l’exceptionnelle longévité du régime dictatorial des Duvalier, comme vous en émettez, convaincue, l’hypothèse. Le régime de Franco, on le sait, n’a pas duré moins de 39 ans, soit, donc, tout compte fait, dix bonnes années de plus que celui des Duvalier. Mais il n’empêche qu’à la mort en 1975, du “Généralissime caudillo”, les débats étouffés et qui se sont passionnément ouverts sur la fusillade notoire de Lorca, perdurent aujourd’hui encore.

La force du mensonge ?

Les circonstances, je l’ai affirmé, conféraient au mensonge du débarquement armé, une apparence de vraisemblance. Mais il n’y a pas que le débarquement armé dans l’affaire Alexis, il y a la lapidation par la population locale, il y a les circonstances précises de sa mort, autant de faits qui ne laissaient d’appeler à une enquête profonde. Et les motifs accordés à son débarquement se fussent-ils révélés exacts qu’il s’agissait aussi, ma foi, de les confirmer. Non, la force du mensonge, à mes yeux, ne saurait, non plus, être mise en cause. Ce qui ne laisse d’être en action ici, est, à mon sens, bien plus profond.

Un assujettissement total au discours d’autorité? Une complaisance rare vis-à-vis des versions admises (officielles ou non) et ce, sous quelque forme qu’elles se présentent?

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