De si jolies petites plages

Quoique déjà contenu dans mes affirmations précédentes (mais peut être pas, à bien regarder) laissez-moi mettre en évidence ici ce point précis, autre caractéristique de De si jolies petites plages: la décontraction absolue de ton .Que vient renforcer, à la manière de La fermeture d’un Alphonse Boudard par exemple, ou de l’essayiste qu’il arriva d’être au romancier Henry Miller, l’usage assez notable du registre relâché. Ça ne laisse de fleurer la rue et c’est complètement nouveau chez nous où quelque soit l’idéologie professée, homme du monde accompli et tout droit sorti du Larousse, l’essayiste, incarnant l’image roidie et réifiée de l’universitaire, par excellence, croit de bon ton de faire analyste froid, ou sinon, d’extérioriser ses colères bien concevables, ma foi, sous des formules de bon aloi travaillées au standard. Ici les foutre abondent, les merde, les je t’engueule, bref du Jean-Claude Charles dans son charme irrésistible et à son pic.

Le reproche que j’ai entendu une fois proférer à l’endroit de ce livre est que Jean-Claude Charles, en procédant de la sorte, s’est retrouvé incongrûment à mettre ses propres déboires qualifiés d’existentiels, « ses vagues à l’âme » de poète, donc de privilégié, sur la même échelle que ceux autrement inouis de ces milliers de victimes acculés eux-mêmes, et par une situation intenable, à un exode terrible. Inhumain. C’est la manière de voir de ceux qui prennent au mot ce titre de journaliste que porte l’auteur. Qui croient que ce livre n’est autre qu’un document. Ou que ce sujet n’aurait dû donner lieu (compte tenu de sa gravité, je suppose) qu’à un document strict. Comment répondre à un écrivain profondément splénétique, questionneur vigilant et invétéré de surcroit, qui, se refusant à toutes les dichotomies héritées d’un monde romano-judéo-chrétien (sujet\objet, matériel\spirituel, douleur de l’âme\douleur de la faim, mort\vivant etc…) à tous les chantages auxquels, au quotidien, elles ne laissent couramment de donner lieu, assimile toutes les tragédies ?

En le lisant (j’en suis à ma quatrième lecture, croyez-le ou non,) c’est toujours à Truman Capote que je pense. Pour avoir initié ce genre auquel semble s’apparenter, à y regarder de près, De si jolies petites plages : la non-fiction novel ? Peut-être bien aussi, après tout. Mais au Truman Capote surtout de Musique pour caméléons. Celui qui mécontent, entre autres, de son chef-d’œuvre De sang froid (en passant, comment peut-on oser faire montre d’un quelconque désenchantement vis à vis d’une pareille œuvre?) pour ne pas retrouver toute l’émotion contenue dans le sujet et qu’il avait cru patiemment traduite s’en prenait au détachement dont il avait fait montre dans la rédaction de l’ouvrage et se demandait si l’issue ne consistait pas dans la combinaison, par l’écrivain, et dans un genre narratif, de tout ce qu’il avait consciencieusement appris de l’essence des autres genres. Qu’aurait-il pensé, je me demande toujours, d’un tel livre, d’une telle performance ?
Aimez-vous ce livre ?
Quoi ?
Aimez-vous ce livre ?
Bien que je nourrisse des réserves quant à certaines déclarations, à mon sens, trop rapides faites par Jean-Claude Charles au détour de certaines pages, de certains chapitres, oui. Absolument. Comme tous les livres d’ailleurs écrits par ce monsieur, seigneur des lettres, par définition, écrivain prenant, d’un talent inouï (quel talent, Bon Dieu !) l’un des plus cruciaux sans nul doute de notre histoire littéraire. Et dont l’importance, à mon sens, est loin encore d’être dégagé.
Vos réserves ?
Minimes, tout compte fait, lisez-le et nous en reparlerons.
Bonsoir !
Oui, bonsoir !

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