Ou les pensées décousues d’un homme “arrogant” (Voulez-vous dire, ami, “convaincu”?)
Qu’elle s’attaque aux pires atrocités d’un régime politique ou à un texte injuste et douteux en l’honneur de Frankétienne, la critique reste et demeure la même, cher ami. Car ce qui, d’un côté ou de l’autre, ne laisse d’être véritablement en jeu, ce sont, en dernier ressort, les principes fondamentaux. Ce sont, en dernier ressort, les valeurs morales (entendez bien évidemment les valeurs imprescriptibles!).Principes et valeurs dont la vision se trouve très souvent oblitérée par ces réalités affectives que constituent l’émotion, la sympathie, la passion. Que la sympathie ou la passion vous retrouve tête baissée, oui, vous retrouve innocemment à vous évertuer à faire d’une transgression de principe la plus infime qui soit, d’un accroc au bon sens ou à la vérité le moindre et le plus ténu qui soit, un cas à part, oui, un cas d’espèce indigne de tout accent, et, par conséquent, escamotable à souhait, et vous voilà sincèrement cuit, dirait Miller. Vous voilà prêt demain (bannière au vent) à vous faire le soutien infâme d’une cause la plus absurde, d’une cause la plus douteuse, et pourquoi pas, de fil en aiguille (votre aveuglement ou votre passion persistant, monsieur!) d’un gouvernement ou d’un ordre de faits le plus immonde! (Et ça, pour avoir vécu aux pires temps d’une Tchécoslovaquie satellisée et embrigadéee, l’ami Kundera le sait bien, par exemple, qui a long à nous apprendre. D’où ce parti pris froid et outrancier de l’analyse. D’où cette méfiance ancrée chez lui – méfiance que, poète, vous le savez, je ne saurais donc faire mienne sans réserve- pour cet état revendiqué et assumé d’ivresse, d’extase, de transport, d’exaltation, [que d’aucuns semblent vouloir ériger, et sans retenue, en axiome définitif de conduite]bref, pour le mode lyrique… Ah! Le mode lyrique!.. C’est beau…papa!…Les fleurs!… Les fruits!…Les roses!… Adyebondye!)
Partant de ce point de vue, comprenez bien: on ne saurait aucunement demander à la critique de sérier ou discriminer les faits (ce qui est important, plus important, de moindre importance, ce qui vaut la peine ou ne vaut aucune peine) car, à ses yeux, tout fait, le plus anodin qu’il soit ou qu’il paraisse à première vue, est toujours gros de faits plus grands, voire même de faits tragiques à venir.
Dans le même ordre d’idées, se conçoit bien aisément qu’on ne saurait non plus nullement prétendre lui imposer des points limite, des points d’arrêt. S’arroger impunément de lui indiquer, et sous prétexte d’inviolabilité, des seuils sacrés infranchissables, dont il s’agirait pour elle, et à tout prix, de s’écarter. Car, si elle obtempère, croyez-le, elle risque d’orgueil (malheur!) de s’arrêter à tout jamais.
La vérité hélas! c’est que tout est lié, bon Dieu! et, qu’on en soit conscient ou non, la balance qui nous sert à peser tel fait jugé infime est la même qui nous sert à en peser d’autres jugés, eux, d’une profondeur notable, significative. Et ça, ne l’enseignait-il point déjà, le vieil adage? Et ce, depuis longtemps? Il nous prévient en tout cas : Qui vole un œuf, nous dit-il, volera, et à coup sûr, un bœuf ! (Intéressant, hein, à tout point de vue, ce dicton?) Oui, voilà ce qu’il nous dit. Et ça, à mes yeux, n’est que l’évidence même!
À ceux-là dont le trop plein d’émotion et la sympathie, même justifiée, entravent le discernement et la raison, on ne saurait donc trop recommander la vigilance et la distance. Distance vis à vis de soi et ce pour se rendre apte, le cas échéant, à mieux apprécier les faits, à mieux appréhender les enjeux. Distance d’autant plus nécessaire que nous ne laissons d’être chez nous la proie de réflexes profondément ancrés : le “sa pa pi mal non”, pire!, le “anyen pa rèd”! Lesquels réflexes s’avèrent, avouons-le, éminemment pernicieux et destructeurs.
Cela dit, vite dégagé, vous vous attendez donc un peu à la phrase qui va suivre (Dois-je l’énoncer? J’ai peur! Je vais me faire, maman, traiter une fois de plus d’envieux, de clanique, d’arrogant!). Oui, dois-je l’énoncer? Je me mets tranquillement debout. Regarde de droite, de gauche, un peu suspicieusement. Respire à plein poumons. Tant pis! Je me jette vaillamment, oui, hardiment à l’eau. Me revoici, ami, l’index levé: JE PERSISTE ET JE SIGNE!