Autour, une fois de plus, des circonstances de la disparition de Jacques Stephen Alexis.

Mais ces faits sont-ils suffisants ?

Non, bien sûr. Je vous le concède. Les faits pour établir définitivement ou confirmer une vérité ne sont jamais de trop. Aussi crédible qu’elle puisse se révéler, ma voix, j’en ai bien peur, ne va accoucher sans doute que d’une autre tradition, sans plus. Ce qui, à mes yeux, constitue une honte eu égard au caractère relativement récent de cette histoire. Aussi, m’y mettant déjà plus qu’à fond, je ne suggère rien d’autre, je ne souhaite rien d’autre qu’une enquête d’envergure se fasse jour sur cette fameuse « disparition » de Jacques Stephen Alexis. Oui, rien d’autre que ça, madame. Oui, qu’on rouvre tranquillement ce dossier. Le fait a beau remonter à 52 ans, très proche, tout compte fait, de l’espérance de vie moyenne dans notre pays, il n’est nullement écrit, il n’est nullement improbable que nous ne saurions trouver, et volontaires à nous aider, des témoins encore vivants de ce jour noir. Incroyable. Des témoins encore vivants de cette infamie lourde et à jamais irréparable des bassesses éhontées du papadoquisme. Mais il importe d’avoir pleine conscience que nous n’avons plus de temps à perdre. Il importe que nous ayons conscience que chaque minute d’envolée, que chaque seconde d’envolée verra forcément s’accroitre, et dangereusement, l’ombre entêtée, l’ombre résolue sur cette histoire.

Oui, qu’on rouvre ce dossier, madame, et je vous garantis qu’ensemble nous ferons une expérience sublime, celle d’un manteau indicible et effrayant de fer. Qu’ensemble nous ferons une expérience édifiante, celle d’une incroyable manipulation, l’une des plus soutenues et des plus réussies sans doute de tous les temps modernes !

Vous épargnant la nécessité d’une question obligée, cette enquête où doit-elle commencer, me sens-je tenu de vous préciser ?

Oui, où ? Que n’allons-nous sur les lieux du débarquement interroger des gens (relisez mon article, beaucoup de points restent à éclaircir de ce côté) Que ne commençons-nous à interroger sérieusement notre entourage. Daniel Supplice parle d’exécution sommaire Et nous indique même la date de son accomplissement. Cessons d’être des perroquets et osons sagement lui demander d’où il peut bien tenir ce fait. À l’encontre de ce que nous laisse voir L’homme sur les quais de Raoul Peck, notre capitale sous Papadoc n’était nullement un bled, un champ désert ! Que non ! Que n’allons-nous ensuite aux Gonaïves ? D’autres miliciens qui, ce jour-là, accompagnaient forcément mon témoin sont peut-être encore vivants. Et n’ayant de Jacques, ma foi, que la vision d’un simple camoquin de plus, ceux ne sont pas eux, je crois, qui ont transpiré à ériger ce manteau incroyable de silence. Donc, comme ils ont dû le faire déjà, et depuis belle lurette, je présume, ils consentiront certainement à s’ouvrir à nous. Et Surtout, à leur contact, n’éprouvons nullement cette peur irraisonnée, cette peur médiévale d’une possible contamination idéologique. L’idéologie, c’est démontré, ne s’avère dangereuse, ne s’avère contagieuse que pour la posture ! Si nous nous révélons capables d’accomplir tout ça, semblez-vous me dire, nous ferons beaucoup de bien à nous-mêmes et au-delà à l’Histoire. C’est ce que je crois aussi. Car qu’est-ce donc, dites-moi, que ce pays, à quoi saurait-il jamais prétendre si de la mort d’un de ses fils les plus aimants, les plus prodigieux, ne subsistent pour se perpétrer, que des racontars insidieux. Ne subsistent pour se perpétrer que des oui-dire habilement suggérés, bref, que les contes jaunes de ses bourreaux ! Qu’on s’ôte de ce fatalisme ? Qu’on se prenne, pour de bon, en main? C’est mon vœu le plus entier, madame ! Veuillez agréer l’expression de mes sentiments distingués.

J-P R N

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