Quand la journaliste et poétesse Jeanie Bogart rencontre Saint-John Kauss
À côté d’une Odeur de goyave (entretiens de Marquez avec Plinio Mendoza ) Marche Arrière 1 et 2 (entretiens de Roger Dorsinville avec Collectif Paroles et Jean Coradin), J’écris comme Je vis (de Dany Laferrière avec Bernard Magnier) de Testament (Witold Gombrowicz avec Dominique De Roux )de Ultimes Dialogues (Jorge Luis Borges avec Osvaldo Ferrari ), je viens tranquillement de ranger Éloge de l’interlocuteur de Saint-John Kauss avec Jeanie Bogart. Et une fois de plus je me suis posé la question: Que nous apportent ces livres d’entretiens avec des auteurs connus, de réputation assise? Qu’est-ce qui les rend irrésistibles? Et surtout à part d’être un beau livre (oui, un beau livre, genre personnalisé, sorti de chez Ouaknine et propre de toute évidence à séduire les collectionneurs) que m’a apporté précisément l’entretien du poète Saint-John Kauss avec Jeanie Bogart?
Ce que, depuis les sixties, époque qui a vu, sinon la création du genre, du moins sa grande vogue, ne laisse assurément d’apporter ce genre de livres.
Un coup d’œil sur l’intimité du prolifique et conséquent poète, sur ses origines, ses rêves, ses motivations essentielles, son credo littéraire, ses références… ce qui l’a constitué.
Une certaine sincérité de ton qui, on ne le déplorera jamais assez, fait indubitablement défaut à notre culture. Et inséparable d’évidence de toute quête profonde d’individualité véritable comme de citoyenneté. Sincérité qui, à l’encontre de cette représentation mythique que nous avons été conditionnés à nous en faire, nous permet de découvrir l’écrivain, selon le vœu même de Saint-John Kauss, tel qu’il est véritablement, à savoir, un homme de la peine commune, un homme du quotidien fardeau, et qui, se débattant dans ses frustrations et ses déboires, tente d’y parvenir sans trop de casse et de heurts de façon à garder intact son chant, ce qui le fonde. Bref, un être de chair et de sang.
Une liberté de langage propre habituellement aux correspondances privées (espace où se construisent les vraies biographies, j’entends les non-officielles) et qu’on aurait tort de vouloir chercher dans cette galerie désincarnée de figures momifiées que constituent les pavés de Pompilus et Berrou.
[À propos, dites-moi, Georges, comment, et surtout de quoi vivaient Roumain à New-York, Firmin en exil à St-Thomas? Qui saurait franchement m’en informer?]
Mais tout cela, me dira-t-on, une biographie bien faite, honnête et informée, ne saurait-elle nous le procurer? Certes, aucun doute là-dessus. Mais à la différence de toute biographie, quelle qu’elle soit, qui semble une aventure fermée une fois pour toutes (due à la magie des questions-réponses? à cette sensation de présence physique qu’elles ne laissent tout au long de nous procurer?) une sensation de fugitif qui nous met à la bouche un goût de temporaire.
Comme si tout n’était pas coulé une fois pour toutes et qu’au détour de la route surviendront encore d’autres professions de foi, d’autres mutations sublimes de l’écrivain, qui, pour notre bonheur, attendront patiemment d’être saisies.
Ce ton-là , ce ton décousu-là, ami, est imbattable!