Qui a dit Marasa d’A20?

Oui, voilà un rapide résumé de ce beau livre, mais suis-je satisfait? Non. Car comme tout livre riche, complexe, et par conséquent, dans une large mesure, irréductible seule une confrontation avec Marasa peut nous procurer une idée réelle de ce qu’il représente, en réalité. Un livre d’interrogation et de souffrance, certes. Mais que serait cette souffrance si elle n’était tamisée par l’humour le plus profond. Car d’humour il n’en manque pas chez A20(j’en veux pour preuve toute cette imagination déployée d’adolescent, tous ces fantasmes d’enfant rêveur qui, d’un bout à l’autre du livre, ne laissent de projeter leur sourire malicieux et convainquant) C’est même lui qui nous permet de voir sous quel signe précis est écrit ce beau livre: celui de l’honnêteté humaine véritable, celui de la transcendance totale, de la plus profonde sérénité. Et à ce titre, peut prétendre, dans nos lettres, à une place enviable et méritée.

La profession de foi stylistique à l’œuvre dans Marasa.

“Pour ce livre, nous dit A20, je ne sacrifierai à aucun goût du littéraire, je raconterai notre rencontre comme elle a eu lieu. Elle doit pouvoir tenir à elle seule sans artifice. Je dirai moi pour parler de moi et toi pour parler de toi.” Et l’auteur, ma foi, a tenu parole. Mais attention! À “aucun goût du littéraire”, comme nous l’a montré Camus, Prévert, Queneau et bien d’autres, s’il signifie refus provisoire ou définitif de la grande batterie rhétorique traditionnelle, ne signifie nullement absence de littéraire. La spontanéité des mots n’exclut nullement l’expressivité. Et c’est là le grand miracle d’A20: de compter au nombre de ceux qui sont parvenus à renouveler la langue courante. Ce pari-là est toujours de taille. Car le risque est grand: l’atonie. Et son corollaire: la mort de l’art. Essayez d’imaginer un écrivain qui délibérément tourne le dos aux couleurs et à cette vivacité qu’offrent les sacro-saintes figures de style. Quand il n’a pas, comme Hemingway, de “grandes et enchanteresses histoires” à nous offrir, que lui reste-t-il pour nous convaincre? La réponse est me direz-vous: le lyrisme. La poésie. Oui, à condition que ce mot trop galvaudé soit synonyme ici de sang, d’urgence, d’authenticité, voilà en effet le secret d’A20. Voilà ce qui, de l’intérieur, illumine des mots d’une tonalité si basse qu’ils semblent chuchotés. Arrachés au silence. Voilà ce qui explique l’audace à faire porter sur un mot seul entre deux points, et sans conditionnement préalable (conditionnement qu’offre bien souvent la fausse hésitation, ou encore l’accumulation, figure de répétition) toute l’émotion d’une page. Émotion qu’il véhicule, en vérité, la preuve qu’elle est bien sur le papier. Qu’elle n’est pas restée en route, à savoir dans la caboche de l’auteur et ressentie uniquement par lui. Un exemple? Le personnage retourne sur les lieux de son enfance, lieux hantés par le souvenir d’amis perdus de vue depuis longtemps: “Faisons simplement une visite express à l’église La Caridad (…) Dans quel lexique puiser pour atteindre à cette forme de communicabilité? Joé, Elysée, Marc, tous m’entourent, me parlent. Je leur dis des choses avec autre chose que des mots. Est-ce qu’ils comprennent? Oui. Je suis monté sur le perron de l’église pour regarder la cour. Murielle est là avec sa sœur. Elle est lointaine.” Oui, “Elle est lointaine” lâché en toute confiance, spontanément ainsi. Si ça ne s’appelle pas de l’audace, je ne m’y connais pas en lettres. En littérature!

Le mot de la fin

Il est destiné avant tout aux réticents, et porte sur la technique narrative employée dans le second plan par l’auteur.

Le second plan, monologue intérieur ininterrompu, à la manière de Joyce ou de Schnitzler, est écrit en tournant complètement le dos au lecteur. Il fait usage, je l’ai dit, d’un présent de narration continu et indifférent à la chaîne du temps. Aussi difficile que cela puisse se révéler au lecteur (absence d’introduction et, par conséquent, de perspective, difficulté  pour lui de discriminer l’actuel du passé, de suivre l’histoire autrement que collé aux basques du narrateur)  cela n’est pas moins appelé, je crois, par une nécessité impérieuse de l’œuvre: d’abord établir un certain contraste entre les plans de façon à permettre leur imbrication nette, mais surtout abolir toute distance possible entre le narrateur  et cette femme innommée qu’il prend à témoin de tout, établir entre eux, et d’emblée, cette fusion, cette gémellité qu’il se voit comme contraint à la fin de l’histoire, de lui proposer comme un moyen terme, un dénouement probable de leur relation manquée, ce qui, à mon avis, ne serait nullement possible avec les méthodes traditionnelles de narration qui, toutes, supposent recul, distanciation et objectivation. Et ça, rencontre absolue de la forme et du fond, constitue, de la part de A20,  rien d’autre, je crois bien, qu’un coup de maître. Ce livre ne s’intitule pas Marasa pour rien, quand même, allez!

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