Autour de la disparition de Jacques Stephen Alexis

Les arguments ? Ils sont plutôt solides, ami, appréciez-les.

1- D’abord, les objets  retrouvés en leur possession (objets  consignés dans un procès-verbal exhumé magnifiquement- Ah! quel boulot!- par B. Diederich et portant la signature du tristement célèbre Edouard Guilliod, sous-lieutenant lors, des forces armées d’Haiti).

La passe du vent

La passe du vent

Au milieu d’une somme  relativement importante d’argent (13.000 dollars américains. “Valeur représentant  le montant de droits d’auteur sur mes livres perçus dans divers pays étrangers” déclare Jacques. S. Alexis lui-même dans un reçu soussigné par lui mais éminemment dérisoire pour ce projet belliqueux qu’on leur prête), au milieu de cette somme donc, et d’objets personnels des prisonniers (montres, camera, flashlights, porte rasoirs, pardessus, une pioche, une jumelle, une pince, des papiers importants) un pistolet colt cal 38 et 3 chargeurs ! Qu’en pensez-vous ? Pour cinq hommes venus clandestinement allumer les feux pourpres de la guérilla, ils étaient plutôt armés, non, nos bonhommes, avouez-le !

Ah ! Vous paraissez  plutôt sceptique. Au nom de la vérité définitive, alors, laissez-moi, donc, tranquillement, aller quérir ce document!

«  Je certifie avoir reçu du Comsoudis Jn. Rabel une valeur de ($ 13.000) treize mille dollars en billets de 20 et de dix et de cent dollars et les effets personnels des prévenus. 1 pistolet colt cal 38 et 3 chargeurs ; 4 montres, camera, jumelle de campagne, pince, 2 flashlights, pardessus, 2 porte rasoirs, 1 pioche, et des papiers importants, 1 porte feuille contenant soixante cinq gourdes (65 gourdes) »

Le 23 avril 1961, Edouard Guilliod S/Lt. FAd’H.

Hé oui! Vous l’avez lu! Un groupe d’éclaireurs, alors, serions-nous plutôt tentés de croire? Nul transmetteur-récepteur, pourtant, ne figure, vous l’avez vu, au sein de ces impedimenta consignés. De ces incontestables bagages. Non, aucun.

2- Leur histoire personnelle (ou, si vous préférez, les conditions précises qui les avaient retrouvés en terre étrangère)

Alexis devait conduire une délégation de trois représentants du PEP, à Moscou, au congrès des 81 partis communistes et organisations ouvrières, tenu le 16 novembre 1960. Les entrées et sorties des citoyens haïtiens étaient strictement surveillées. Il fallait obtenir un visa de sortie du Palais national et un visa d’un consulat pour revenir au pays (B. Diederich) Selon Sarner, il demande un passeport et un visa de sortie du territoire, qui lui sont refusés. Il put quitter clandestinement Port-au-Prince utilisant le passeport d’un militant de 23 ans, Bernac Célestin qui avait la même taille que lui. (B. Diederich) Départ qu’un document publié par Diederich (p 125) nous permet de fixer au 12 août 1960.[1]

Charles-Adrien Georges, militant de gauche, depuis 1946. Ex-agent électoral de Fignolé en 1957, nous apprend Diederich, dans son Papa Doc, il avait contribué à la constitution de plusieurs syndicats. Il était membre fondateur du PEP et membre du comité central.

le prix du sang

le prix du sang

Max Monroe, militant catholique, Hubert  Dupuis-Nouillé, Guy Belliard, tous trois membres du PAIN (Parti Agricole Industriel National), le parti fondé par Louis Déjoie, qui se passe de présentation, concurrent bien connu de Duvalier lors des élections de 57. Selon un article d’Haiti Sun paru le 30 avril 1961, et reproduit par Diederich dans Le Prix du sang, ces trois hommes étaient identifiés comme étant ceux qui avaient participé au détournement, en avril 1959, d’un DC3 de l’armée haïtienne utilisé pour le transport de passagers. Détournement au cours duquel avait été tué le pilote major Eberlé Guilbaud. ” L’avion avait atterri à Santiago de Cuba avec  32 personnes à bord. Les exécutants déclarèrent être membres du mouvement RHI (Révolution Haïtienne de l’Intérieur) dont ils portaient les initiales autour du bras”.

“(…)Il semblerait que Monroe, en 1959, nous rapporte Diederich,  avait essayé avec un  camarade haïtien de retourner en Haïti avec un certain nombre d’armes. Intercepté par les cubains, il avait été ramené à son point de départ”. (p.133)

Bref, il s’agit, à tout prendre, d’hommes grillés, ne pouvant nullement regagner leur pays par voie légale. Et contraints, pour le faire, d’avoir recours à l’imprudence. Et dans le cas de Jaques S. Alexis, encore pire, nous dit-on, considéré qu’il ne laissait d’être “par l’équipe du palais national comme leur adversaire le plus dangereux. Duvalier  avait accusé le PEP d’être l’organisateur principal de la grève des étudiants.”  (B. Diederich, p.132) ” Il était bruit que la police cherchait activement J.S. Alexis qui effectivement avait pu s’échapper vers un autre pays sous un faux nom.»(p. 101).

Attaquons-nous maintenant au second mythe. Que lui et ses compagnons auraient trouvé la mort dans la zone même de leur débarquement :

Ici aussi, rien de plus faux, et les arguments semblent solides, de taille : un ami d’Alexis (celui sous l’identité duquel il avait pu, le 12 août 1960, quitter le pays et qui, la manœuvre découverte, sera arrêté peu de temps après et interné à  Fort-Dimanche) certifie l’avoir reconnu dans un prisonnier fraîchement amené dans une cellule voisine.

Interviewé par Diederich, Claude Larreur, ancien officier des Gardes-côtes, reconnait, lui-même avoir  commandé le bateau dépêché au môle quérir les prisonniers. “Au retour à Bizoton, vers 7 heures du soir, une voiture de police qui attendait emmena les prisonniers.” (p.139) (au nombre de cinq)

Les emmener où ?

Au quartier général de la police, comme le suggère, par déduction, Diederich?[2] Aux casernes Dessalines? La preuve de leur passage-inévitable, sans doute- par l’un ou l’autre de ces quartiers militaires peut être faite, en tout cas, par un document, déjà cité par nous,  écrit et soussigné par Jaques S. Alexis, lui-même. Document, on l’a dit, qui  n’est autre qu’un procès-verbal  de la somme qu’il avait en sa possession au moment de son arrestation.

  1. [1] C’est la fameuse lettre en date du 4 février 1961 signée Joseph Verna et Fritz Hyppolite, deux dirigeants du PEP en prison à ce moment, et qui invitait les militants du P.E.P  « A quitter le maquis », A  reprendre les classes » « A cesser toute activité contre l’ordre public… » Outre l’artifice auquel il avait eu recours, cette lettre indiquait également la date précise à laquelle J.S.A avait quitté le pays.
  2. [2] Se basant sur le document signé d’Edouard Guilliod, Diederich part du principe que c’est uniquement lui qui avait été préposé à s’occuper de l’affaire, donc avait reçu à Port-au-Prince, en son bureau sis au quartier général de la police, Jacques Stephen Alexis et ses compagnons. Faisons toutefois remarquer que les rumeurs en sa possession font état plutôt, elles, des casernes Dessalines.
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