Autour de la disparition de Jacques Stephen Alexis

A Fort-Dimanche, ainsi que l’affirmaient hautement les rumeurs parvenues à Diederich et au témoin de Sarner ?

C’est en tout cas, ami, ce qui me fut révélé  de façon inattendue un jour de l’année 1986. Et par quelqu’un qui se donnait pour avoir été témoin oculaire[1]du fait (à connaitre cette personne on verrait qu’il n’y a aucune raison de douter de son témoignage). C’était par un certain soir d’une époque particulière de ma vie. Je faisais partie de l’organisation ZANTRAY (Zanfan Tradisyon Ayisyen), organisation créée en vue  de promouvoir la défense du vodou que certains milieux protestants, pour la plupart, préconisant vivement son « déchoukaj », assimilaient dangereusement à un instrument  répressif au service du règne des Duvalier. Nous avions  l’habitude de nous retrouver chez moi à discuter de faits et d’autres mais surtout du vodou, de ses variantes régionales et du rôle indéniable joué par lui dans notre Histoire de peuple. Qui ce jour-là, du terrain habituel de nos devisées, avait lancé la conversation sur le règne diabolique, démagogique et stérile de Papa Doc ? La conversation s’orienta comme d’habitude sur les exécutions sommaires qui ont ponctué le règne. J’étais moi un peu distraitement à l’écoute quand j’entendis proférer cette phrase : “E lè yo t’ap fizye Stephen Alexis  Fò Dimanch lan !…[2]” Oui, Stephen Alexis. Pas Jacques Stephen Alexis. Et c’est  ce qui, je l’avoue, me rendait distrait de ce luxe de détails qui se prodiguait, occupé que j’étais, à essayer mentalement  de faire le point. À démêler si j’avais jamais ouï-dire que Stephen Alexis, l’un des miraculés du massacre des prisonniers sous Vilbrun Guillaume Sam, et père de Jacques Stephen Alexis , avait lui aussi été victime de la papadocratie.(N’avait-on pas fait aussi vaguement mention de mesye yo, [3]ce qui avait sans doute dû ajouter à ma confusion car contribuant à m’éloigner davantage de Jacques Stephen Alexis qu’adhérant secrètement à je ne sais quelle version de sa mort, je m’étais toujours représenté crevant tout seul dans une cellule à Fort-Dimanche). On en était, en tout cas, à l’ordre donné par Papa Doc lui-même de faire feu (car c’était lui, ce jour-là, qui, en personne commandait le peloton d’exécution) quand, pour ma gouverne, et n’y tenant plus, je me fis fort de demander une petite clarification. Ma voix ? L’émotion qui, à mon insu, faisait vibrer mon timbre ? En tout cas, ma question se heurta à un mur imprévu et blanc de silence. Et je vis mon hôte qui m’observait, se refermer littéralement sur ses mots. Venait-il  de prendre conscience d’un quelconque danger à faire état d’un tel témoignage en cette effervescente année que ne manqua point d’être à bien des égards celle de 1986? De notre différence fondamentale de références et de parcours ?  Je n’insistai point et me promis d’éclaircir ce fait plus tard. Mais je n’en eus jamais l’opportunité.

Plus tard, bien plus tard j’appris que Stephen Alexis, père de Jacques Stephen Alexis, était mort le 15 août 1962 en exil à Caracas.

-II-

Q. Donc, pour vous qui adhérez totalement, je le sais, à cette nouvelle vision dégagée par Sarner et Diederich, à l’encontre de cette image largement répandue,  la mort de Jacques Stephen Alexis procèderait  d’une élimination politique froide et pure ?

R. S’appuyant sur la psychologie toute d’aigreur et de complexe de Papa Doc, Diederich met l’accent sur l’aspect revanchard qu’elle revêtait (c’est le médiocre contre le brillant, l’écrivain raté uniquement acclamé de ses sycophantes, contre l’écrivain réel d’un talent incontestable mondialement reconnu). Mais nous ne saurions négliger non plus le contexte immédiat  dans lequel  cette mort s’est opérée: le 7 avril 1961, ne l’oublions pas,  avait vu la dissolution de la chambre des députés,  le sénat  supprimé, et de nouvelles élections étaient prévues le 30 avril pour pourvoir 58 sièges de députés, mais en réalité, nous le savons, pour assurer la réélection pour six ans de François Duvalier à qui il restait pourtant deux ans du précédent mandat. Contexte donc généré par ce priapisme mortifère, cette ambition farouche d’autocratie dont on commence à peine à soupçonner  l’énergie et qui impose le tabula rasa. Le désert sec, duvaliérien.

Q. Revenons un peu aux faits que vous avez dégagés plus haut : un seul revolver pour cinq ! C’est plutôt fabuleux ça ! Incroyable !

  1. [1] Pour plus amples informations concernant cet homme, voir le texte, Autour, une fois de plus, des circonstances de la disparition de Jacques Stephen Alexis.
  2. [2] Et ce fameux jour où l’on procédait à l’exécution de Stephen Alexis à Fort-Dimanche!
  3. [3] Ces messieurs
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