Autour de la disparition de Jacques Stephen Alexis

R. Oui, j’y pense tous les jours. Que peut bien signifier cela. Je peux me tromper, remarquez-le, mais je ne peux m’empêcher de le voir autrement que comme un message net, résolu. Une sorte de drapeau blanc. Une dénégation voyante, ostensible de toute intention de guérilla.

Q. Au cas où ils seraient pris et jugés?

R. Absolument ! Alors ce fait parlerait haut et fort pour eux, indiquerait bien, au-delà d’une auto-défense légitime, si je puis dire, leur absence claire, leur absence totale d’intention belliqueuse.

Q. Ils devaient être vraiment loin, oui, à mille lieues de Papa Doc, alors !

R. Oui, en retard d’un bon lustre sur les faits à l’œuvre au niveau moral et socio-politique du pays, c’est évident. À cet égard, ouvrons  Le Prix du sang et extrayons-en le procès-verbal  déjà cité et soussigné par Jacques Stephen Alexis lui-même :

” Je Soussigné Jacques Stephen Alexis, dit Joseph Thévenot, docteur en médecine, écrivain, certifie avoir eu sur moi au moment de ma détention la somme de treize mille dollars américains et cinquante-trois gourdes en billets haïtiens ($ 13.000) et (53 Gourdes) valeur représentant le montant de droits d’auteurs sur mes livres perçus dans divers pays étrangers

« En foi de quoi je signe le présent document pour valoir ce que de droit aux autorités civiles et militaires intéressées.

Jacques S. Alexis, dit Joseph Thévenot »

N’avez-vous rien remarqué de paradoxal ? La fausse identité est répétée par lui deux fois dans le procès-verbal. Dans quel but se demande-t-on ? Pour bien faire ressortir que son intention n’était ni plus ni moins que de regagner clandestinement son pays, et non de se livrer à une quelconque guerre de guérilla, laquelle, comptant mieux sur la force des armes, ne s’embarrasse point de fausse identité, de camouflage?

C’est ce que, à tort peut-être, je suis prêt à croire cependant. Sans se rendre compte que la vérité importait peu. Que ce qu’il représentait (que ce qu’il représente, plutôt, excusez-moi, car il est bien loin, vous le savez, d’être couché dans cette mort) importait peu. Que toutes les apparences jouaient contre lui. Que c’est surtout ça et rien d’autre qu’entendait exploiter un pouvoir sans scrupules, d’une mesquinerie insondable, au demeurant, le plus cynique, le plus sanguinaire jamais éclos sur le sol d’Haïti Thomas.

« Tout ce que je vous dis est resté très longtemps secret. Les Duvalier, l’un après l’autre, se sont arrangés pour cela. Moi, j’ai appris l’histoire par le télégraphiste du Môle : comme tous les autres, il avait été invité à venir voir la « marchandise » que les « envahisseurs »-on employait le mot indien Kamoquins-avaient transporté avec eux : un revolver…

-          Un revolver pour cinq ? (La passe du vent, p, 108)

Q. D’où venaient-ils précisément ? de Baracoa , je crois comprendre ?

R. Oui, de Baracoa, une commune et une cité de la province de Guantánamo à l’extrémité orientale de Cuba. Séparée de la presqu’île du Nord-Ouest par ce bras de mer (de 60 kilomètres) connu aussi sous le nom de La Passe du Vent. D’où ce titre magnifique et enviable du livre d’Eric Sarner. À bord d’une vedette cubaine, fournie, nous dit Diederich, par le parti communiste cubain. Ce départ coïncide avec l’invasion, par les exilés cubains de la Baie des cochons. Les bateaux de guerre de la flotte atlantique américaine patrouillent dans les eaux. La passe du vent franchie, Alexis et ses compagnons abordent la presqu’île  sur un canot de caoutchouc gonflable. Où débarquent-ils ? Selon Diederich, au nord de la baie du Môle. Selon l’informateur de Sarner, un peu plus au sud, au lieu-dit la Plateforme, première section de la commune de Bombardopolis. Loin, en tout cas, de la destination prévue : les Gonaïves.

Diederich : “Dans leurs jeans et leurs chemises propres et tout neufs, le groupe dans cet environnement paysan faisait typiquement urbain.”

Selon un des informateurs de Sarner, “Lui et ses compagnons portaient des guayaberas, ces chemises cubaines.”

En tout cas, « Complètement désorientés, nous dit Diederich,  ils ne savaient où ils étaient. Ils demandèrent à un paysan de les guider, lui offrant de l’argent américain. Le guide les conduisait directement au chef de section qui les déclara en état d’arrestation et les conduisit jusqu’au poste militaire au Môle.” (p.130)

Une autre version chez Sarner : “Sitôt à terre, ils auraient demandé à quelqu’un de les conduire en voiture jusqu’aux Gonaives. Or, le type était à moitié pêcheur, à moitié macoute, et il a prévenu la police.” (p.48)

“En tous les cas, un officier de police local, accompagné d’un détachement armé les a rattrapés. Ils ont reconnu Alexis à cause des bouquins, et le groupe s’est mis en route vers Bombardopolis, puis de là vers le Môle.” (p.107)

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