Autour de la disparition de Jacques Stephen Alexis

Au Palais national ? Diederich laisse entendre un glacial et plutôt inquisitorial tête-à-tête avec François Duvalier lui-même mais sans mentionner sa source d’information.[1]

À Fort-Dimanche ? Très certainement où il a été reconnu, je l’ai dit, par un ami (oui, Bernac celestin).

Là Diederich laisse croire qu’il serait mort des suites de bastonnade et de torture ordonnées par Duvalier et, tout comme ses compagnons,  inhumé à l’aube dans la boue de Fort-Dimanche.

Etayé bizarrement par les dires du même témoin, Sarner, lui, laisse entendre qu’on serait venu le chercher peu de temps après. Et qu’à ce moment precis daterait  pour toujours sa disparition aujourd’hui encore ressentie du paysage des hommes.

Les  rumeurs

On ne saurait mettre fin à cette revue d’un épisode  aujourd’hui encore si rempli de coins d’ombre sans faire mention de certains faits ou rumeurs parvenus à nos auteurs.

1- La lapidation de Jacques Stephen Alexis  et de ses compagnons.

“Après le débarquement d’avril 1961, des histoires commencèrent à courir la région du môle sur cinq étrangers qui auraient été lapidés par la population locale. On disait que les hommes avaient été capturés et enfermés dans une cellule près du Fort Saint-Georges (….) Les pêcheurs confirmèrent  l’arrivée d’un bateau des Gardes-côtes avec tout un groupe d’officiers de l’armée. Des rumeurs se répandirent dans le sens que les cinq prisonniers avaient été emmenés sur la savane face au village et lapidés. Elles précisaient même que Alexis avait eu un œil arraché.” (Diederich p.136)

Dans son Papa Doc [2] paru 36 ans plus tôt, Diederich qui, on s’en souvient, avait largement accrédité cette rumeur semble pourtant faire montre aujourd’hui,  vis-à vis d’elle, d’une distance à tout le moins curieuse: “Une rumeur, probablement diffusée par le régime lui-même, voulait qu’ils aient été lapidés par les paysans.”

Qu’est ce qui justifie cette nouvelle croyance, cette volte-face, est-on en droit légitimement de se demander? On notera, en tout cas, que dans le témoignage crucial mentionné précédemment (témoignage de Claude Larreur, ancien  membre des Garde-côtes recueilli et publié par lui) aucune référence n’est faite sur l’état précis dans lequel  les cinq prisonniers avaient été emmenés à la capitale, trou regrettable et incompréhensible dans le récit d’un auteur qui, journaliste méritoire et de premier plan, a fait preuve, pourtant, d’une capacité évidente à bien discriminer le significatif.

Cette lapidation, pourtant ne fait point question chez Sarner, rapportée par son témoin Gabriel, un ancien commerçant en fruits de mer que ses activités retrouvaient de temps à autre au môle. Les circonstances qui auraient vu  le fait se produire sont quelque peu différentes. C’était avant l’arrivée des officiers venus de Port-au-Prince. Et pendant que les prisonniers traversaient le village à pied. “Ils ont parcouru la rue principale sous les huées  et les jets de  cailloux. Et ces cailloux, ce n’était pas seulement pour les humilier, c’était pour leur faire mal…” (p.107)

Là ne s’arrête pas non plus les différences. Il n’est nullement fait mention de l’œil crevé de Jacques S. Alexis. Et plusieurs membres du groupe sont tués, nous rapporte Sarner  (le témoin de Diederich, Claude Larreur,  parle pourtant, on l’a vu, de cinq prisonniers recueillis par la mission des gardes-côtes!.)

2-Concernant son/leur exécution.

La rumeur est parvenue à Gabriel, l’informateur de Sarner : ” On dit qu’ils ont été fusillés à Fort-Dimanche, le lendemain. Je ne sais pas. Mais on n’a jamais rien su des cadavres.” (p.107)

La même rumeur parvenue  à Diederich : “Selon d’autres rapports, Alexis aurait été emmené à Port-au-Prince, interrogé aux casernes Dessalines et au Palais National et enfermé ensuite pendant une nuit, au Fort-Dimanche, avant d’être exécuté.” (Diederich, p.136)

Que faut-il croire, Georges, de ces rumeurs ?

Avant toute considération, ouvrons le Dictionnaire Biographique des personnalités politiques  de la république d’Haïti de Daniel Supplice et reportons nous à l’article consacré à Jaques Stephen Alexis, page 41 :  “Après un périple qui passe par Pékin et Cuba , il débarque clandestinement au Môle Saint-Nicolas en provenance de Cuba. Il est capturé quelques heures après son débarquement et passé par les armes sans jugement le 22 avril 1961.”

…et passé par les armes sans jugement le 22 avril 1961.

Curieux, non ? A-t-on jamais remarqué cette simple mais, à bien des égards, paradoxale phrase ? De tous les commentaires lus sur la disparition de Jaques S. Alexis, commentaires ordinairement bourrés de points d’interrogation, c’est le seul  qui ne fait point scrupule d’une telle certitude (date de parution du livre 2001).

Essayons de comprendre et d’éclairer ici cette curieuse et laconique phrase : la date indiquée n’est d’évidence pas celle du débarquement mais de l’exécution. Donc, entre la capture et celle-ci laisse entendre un laps de temps d’un déroulement, j’ose dire, appréciable.

Elle néglige de nous préciser où s’est faite cette exécution mais ne nous interdit aucunement de croire qu’elle a pu se produire en un lieu différent de la capture. Où alors ?

  1. [1] À en croire le compte- rendu de Robenson d’Haiti, le mardi 17 avril 2012, à l’occasion d’une rencontre organisée par la Fokal pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de la naissance de Jacques Stephen Alexis, on verra Frankétienne faire la déclaration suivante: “Jacques Stephen Alexis est conduit d’abord aux casernes Dessalines, m’a rapporté un ancien militaire qui, à l’époque, était de la garde présidentielle de Duvalier. Et il serait conduit devant le dictateur. Il y aurait eu des échanges de paroles. Jacques Alexis n’a pas mâché ses mots. Et cela devait entrainer inévitablement sa perte (…) Il y a eu cet affrontement et on a reconduit Jacques vers la mort(…)[“Le militantisme de Jacques Stephen Alexis, une erreur”dixit Frankétienne. Texte consulté par nous sur le site de Signal FM, le 15 mai 2013.]
  2. [2] Voir Papa Doc et les Tontons Macoutes, pp, 166,167.
This entry was posted in Compte-rendu de lecture and tagged , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.